• Dernière modification : le 26 Janvier 2016

     

    " L'espoir est un sentiment si naïf. Le déchu sera libéré de son mal. Une victoire bien maigre pour l'ennemi qui amplifiera leur souffrance. L'ombre de leurs destins planera au-dessus d'eux pour prendre son dû : pour un être libéré, deux autres mourront."

     

    Extrait du grimoire d'Hakkam, verset 8.03

     

    Date : 23 Milrs de l’Ilnweiz 120 (équivalent des temps modernes : 23 Mars de l’année 120) 

    Lieu : El’Ruth dans le royaume Del Ruth

     

    L’air glacial et humide lui martyrisait la peau. Sa respiration était lourde. L’humidité qui polluait l’air de sa cellule, infectait ses poumons. L’odeur pestilentielle des excréments des rats lui donnait d’affreuses nausées à longueur de temps. Son ventre gargouillait sans cesse. Ses lèvres recouvertes de gerçures suintaient. Il sentait ses forces disparaître au fur et à mesure. Les rongeurs commençaient à le titiller afin de s’assurer s’il était bien mort ou pas avant de s’en faire un festin. 

    Pourtant, cela ne faisait que deux jours qu’Aworn avait été envoyé dans cette prison. Sans eau, ni nourriture. Deux jours où il pestait contre ce conseiller. Lui et ses hommes n’avaient rien pu faire pour l’arrêter. Le souvenir de cette masse sombre le faisait toujours autant frissonner. Au départ, elle les avait submergés puis une douleur les avait tous paralysés. Le reste n’était qu’un vague souvenir jusqu’à son arrivée dans cet endroit froid et lugubre. 

    Il se doutait bien d’être le seul rescapé de cet étrange événement. Du moins le seul pour le moment. Un pressentiment qui ne le quittait pas. Persuadé qu’il allait rejoindre ses hommes d’ici peu. Son état de faiblesse n’était pas le fruit du hasard. Cette chose l’avait empoisonné d’une manière ou d’une autre et ces jours étaient comptés. « Ce conseiller avait tout prévu depuis le début. Son ascension auprès du roi, le soutien de mes hommes envers moi, notre opposition. Nous ne pouvions rien faire contre cette force de l’au-delà », maugréa-t-il. 

    Loin d’être vaincu, il n’avait pas voulu abandonner la sécurité du royaume sans se battre. Or les chaînes rouillées qui le maintenaient contre l’une des parois de sa cellule ne lui laissaient que peu de manœuvres. Il avait tenté quelques mouvements lors du premier jour afin d’évaluer ses possibilités d’évasion. En vain. Chaque tentative s’était soldée par une entaille plus profonde sur les poignets et une perte d’énergie inutile. 

    « Mes chances sont minces. Marthe, Marcus, Laznar. Je prie pour que vous m’entendiez. Ne vous préoccupez pas de moi. Sauvez votre roi, sauvez notre peuple. De là où je suis et dans l’état où je me trouve, je ne peux plus rien faire. C’est à vous d’agir mes amis. Je compte sur vous », lâcha-t-il dans un soupir tronqué par une quinte de toux. Signe d’une santé dégradante. 

    Sa gorge le faisait souffrir plus que ses poignets ensanglantés, ses yeux le brûlaient. Le bruit des rongeurs commençait à le rendre fou. La fièvre montait en lui. Tout lui indiquait une mort lente et douloureuse. Son esprit ne paraissait plus sain. Il s’en rendait compte. Des bruits de pas se firent entendre au loin, ce qui le fit rire, malgré sa douleur.

     

    - Me voilà à imaginer ce que serait le bruit d’un pas appartenant à quelqu’un qui viendrait pour moi. La folie me gagne. C’en est fini, je pense. Allez Aworn, vois le côté positif de l’histoire, tu n’auras plus conscience de ce qu’il t’arrive. Tu ne souffriras plus et tu oublieras tout… tout de toi et de ta vie…, cria-t-il aux rats sur le ton d’une plaisanterie désagréable.

     

    En guise de réponse, il n’eût que le couinement des rongeurs par-ci, par-là, et ce bruit étrange et lointain :

     

    « Tap…tap…tap…tap » 

     

    Le regard fiévreux, il tenta une énième observation au-delà de l’obscurité qui l’envahissait. Le son, bien que faible, résonnait et paraissait venir de partout, et de nulle part à la fois.

     

    - Je sais que je n’ai jamais fait appel à vous. Que je ne vous ai jamais confessé le moindre de mes pêchés. J’avoue ne pas être votre plus grand fidèle et cela dit entre nous, vous ne m’en avez jamais donné l’occasion de l’être. Pourtant, à l’aube de ma mort, je vous prie de croire à la sincérité de ma prière. Abrégez mes souffrances, pria-t-il dans un murmure étouffé une fois de plus par sa toux.

     

    « Tap…tap…tap…tap »

     

    Aworn redressa légèrement la tête. Les rats s’étaient tus. Les bruits semblaient avoir été plus proches cette fois-ci, troublant la quiétude des rongeurs.

     

    « Tap…tap…tap…tap »

     

    Non, il n’avait pas encore sombré dans la folie. Les pas étaient bien réels. Quelque chose ou plutôt quelqu’un approchait. Ne sachant pas la raison de cette venue tardive, il esquissa tout de même un sourire. « Peut-être vient-il juste mettre fin à ce calvaire », ironisa-t-il. Sa prière, bien que succincte, avait peut-être était entendue.

     

    « Tap…tap…tap…tap »

     

    Les rongeurs qui s’étaient figés déguerpirent dans les recoins les plus inaccessibles. Non seulement le bruit se faisait plus proche et plus précis, mais une lueur, bien que faible, semblait apparaître. 

    Aworn scruta de nouveau l’obscurité. Après un petit effort, il distingua les barreaux et les parois de sa cellule. Celle-ci était plus grande qu’il ne l’avait imaginé. En face de lui, il aperçut une ombre, enchaînée elle aussi. Il ne se rendit compte que bien plus tard que l’ombre n’était rien d’autre qu’un prisonnier abandonné depuis plusieurs cycles solaires.

     

    - Les catacombes du palais ! Voilà où je suis ! J’aurai dû m’en douter !, s’exclama-t-il.

     

    L’espoir revint dans le cœur du général. Les catacombes du palais n’étaient qu’utilisées que pour la mise à mort des prisonniers. Une fois en cellule, ils étaient coupés de tout : lumière, eau, nourriture, visite. Ils étaient laissés aux bons soins des rongeurs qui se nourrissaient de cette chair en détresse. 

    Le roi n’acceptait pas d’avoir des prisonniers vivants aux crochets des citoyens et surtout de ses trésors. Un prisonnier coûtait trop cher, et pouvait toujours générer un soulèvement de la population ou une tentative d’évasion. En lui supprimant la vie, il ôtait aussi toutes les dépenses inutiles ainsi que tous les espoirs de le libérer par d’autres partisans.  

    Une fois arrêté, il n’y avait que trois solutions, être banni des terres, ce qui n’était qu’arrivé que deux ou trois fois pendant le règne du roi Kalianor. Une mise à mort rapide en place publique, la plus douloureuse en fonction du méfait dont était accusé le prisonnier. Ou alors une mort lente, isolé de tout. Généralement, les condamnés finissaient toujours par sombrer dans la folie avant même de mourir. La sentence, malgré tout, dépendait bien souvent plus de l’humeur du roi et de sa relation avec l’accusé que de la gravité de l’acte commis. 

    Aworn ne mit pas longtemps pour comprendre que l’individu qui s’approchait, venait pour lui. Il aurait pu croire à l’enfermement d’un autre prisonnier. Dans ce cas-là, il aurait entendu plusieurs pas. Au moins ceux de quatre personnes différentes. Le futur condamné, deux gardes et le geôlier. Or, ce n’était pas le cas. 

    Les pas, car nul doute que cela en était, étaient réguliers et ne pouvaient appartenir qu’à une seule personne. « Mais qui et pourquoi ? », s’interrogea-t-il. Cette idée lui redonna espoir. Il puisa en lui pour trouver la force de se redresser une fois de plus et tendre l’oreille. Ses talents de guerriers pouvaient lui permettre d’identifier plus ou moins les personnes qu’il postait. Un atout de taille avant de faire face à son ennemi. 

    « Pas de frottements de ferrailles. Ce n’est donc pas un guerrier ni un garde. » Les lèvres d’Aworn, bien que gercées, bougèrent légèrement pour redessiner un sourire sur son visage. « Le souffle est court et rapide. La personne est épuisée par l’effort. Pourtant il n’y a qu’une centaine de marches pour atteindre ma cellule. Ce n’est donc ni un assassin, ni un brigand, voleur ou quoique ce soit de ce type. »  

    Bien que rassuré par ces déductions, il pesta contre son incapacité à trouver plus d’indices sur l’individu qui s’approchait. Soudain, la lueur se fit plus dense et irrégulière. « Elle porte une torche maladroitement. Sa main doit être petite par rapport à la taille de l’objet. Ce qui signifie que….une femme. » Comme pour confirmer sa déduction, il vit une silhouette se dessiner contre l’une des parois. La forme semblait danser au départ puis se réduisit et s’immobilisa devant la grille. L’individu était camouflé par une capuche qui lui protégeait le visage. Au vu du gabarit de la silhouette, il n’y avait plus de doute.

     

    - Général… Aworn ?, prononça faiblement une voix douce et essoufflée.  

    - Oui. Enfin ce qu’il en reste, ironisa-t-il. Qui êtes-vous ?, reprit-il bien plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.

     

    Sa question resta sans réponse. La mystérieuse personne posa une torche éteinte dans un emplacement prévu à cet effet près de la grille. Elle l’alluma avec la première et alla déposer la seconde de l’autre côté de la grille. Elle fouilla ensuite dans son sac pour en ressortir un trousseau de clés. Maladroitement, elle en glissa plusieurs dans la serrure avant de trouver la bonne. Un cliquetis se fit entendre après plusieurs essais. Elle poussa avec difficultés la grille puis s’approcha du général pour lui faire face. Celui-ci tenta de reconnaitre l’individu sans y parvenir. « Sa voix me rappelle quelqu’un… Mais son visage reste caché. Pourquoi ? »

     

    - Général Aworn. L’heure est grave. Puis-je vous faire confiance ?

     

    Aworn esquissa un nouveau sourire et désigna de la tête l’une de ses mains attachées et ensanglantées sur le poignet.

     

    - Au regard de ma position, vous ne craignez pas grand-chose et…

    - … Général, s’il vous plait, le coupa-t-elle. Le temps n’est pas à l’humour.  

    - J’en suis navré, soupira-t-il.  

    - La princesse Laïrina m’envoie vers vous afin de vérifier et de savoir jusqu’où va votre allégeance…  

    - … mon allégeance ?, répondit-il d’un air sec. Mon allégeance était toute dévouée à mon roi jusqu’à ce qu’il perde la raison. J’ai bien peur qu’aujourd’hui, mon allégeance ne soit plus qu’une histoire du passé. Elle n’est plus.  

    - Je vois, lâcha-t-elle tristement en se tournant vers la grille.  

    - Attendez, reprit-il, un jour j’ai perdu un ami. Avant son départ, je lui ai fait une promesse. Celle de protéger son élue jusqu’à son retour. Une promesse que je tenterai par n’importe quel moyen de tenir. Même si je dois y laisser la vie. Alors je suis sincèrement navré de vous apprendre que je n’ai plus aucune allégeance envers qui que ce soit. Cependant, ma volonté de tenir cette promesse est infaillible.  

    - Ceci vous honore, mais je ne vois pas en quoi cela répond à ma question, demanda-t-elle sans se retourner.  

    - Cet ami se nomme Kaëdel Lordkurd, et sa promise n’est autre que la princesse Laïrina. Je serai prêt à mourir pour les réunir à nouveau.  

    - Je…, balbutia la jeune personne. Vous ne changerez jamais général. Vous m’en voyez ravie.

     

    Aworn sentit la fragilité de la jeune femme dans sa voix. Celle-ci lui refit face et retira sa capuche pour dévoiler son identité. Ses cheveux semblaient s’embraser à la lueur des torches. Une couleur auburn d’une pureté comme il n’en avait jamais vu, sauf sur une personne. Sa peau lisse, sa bouche délicieusement dessinée et ses yeux d’un vert si clair ne laissaient aucun homme indifférent. Surtout pas lui. Pourtant, malgré cette beauté, seules la tristesse et la souffrance semblaient se dégager de ce visage.

     

    - Maëlle, votre présence dans ces murs est dangereuse. Vous auriez dû envoyer un émissaire… 

    - … nous n’avons pas le temps pour cela. Ni la confiance envers qui que ce soit pour. Le nouveau général a placé ses espions dans tout le château. Nous avons même des traîtres et des lâches dans nos rangs. Ils ont trouvé opportun de se rallier à…  

    - Vous êtes courageuse et votre dévouement auprès de la princesse est sincère. Je le vois.

     

    Sans dire un mot de plus, Maëlle sortit de nouveau le trousseau de clés et, tout comme la grille, parvint à ouvrir les chaînes après plusieurs tentatives. 

    Bien malgré lui, une fois libéré, Aworn s’écroula presque sur la jeune femme qui l’aida tant bien que mal à s’asseoir sur le sol.

     

    - Désolé. Je me croyais plus fort que cela et surtout bien plus résistant. Je vous donne une bien piètre image d’un général.  

    - Ne soyez pas désolé. J’ai une très bonne image de vous. Ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer. Vous avez toujours eu le cœur sur la main même si vous vous en cachez parfois.

     

    Aworn émit un petit sourire suivi d’une quinte de toux plus virulente qu’auparavant. Il n’avait plus de doute. Il était bien plus qu’affaibli. Ce fut avec une agréable sensation qu’il laissa Maëlle s’occuper de lui. 

    Elle avait retiré de sa besace, une fiole d’eau qu’elle versa sur ses lèvres afin qu’il puisse s’hydrater à nouveau. Ensuite, elle humidifia un linge pour lui nettoyer le visage, les poignets et les chevilles. Puis elle appliqua sur ses plaies, un onguent préparé par les meilleurs madrys de la princesse. Ses gestes étaient appliqués. Une douceur qui se mariait parfaitement bien à la personne que la jeune femme était. Ce traitement le soulagea.

     

    - Merci…  

    - Ne me remerciez pas. Après tout ce que vous avez fait pour nous et pour moi. Vous savez, jamais je n’oublierai le jour où vous avez posé vos yeux sur moi …pour la première fois. Jamais je ne pourrai l’oublier.

     

    Aworn plongea son regard dans celui de Maëlle. Lui non plus ne pouvait pas oublier ce jour-là. A l’époque, il n’était que capitaine. Il revenait de patrouilles avec ses hommes et comme bien souvent, au retour d’une mission, il aimait errer dans les rues sombres d’El’Ruth. 

    Ce soir-là, il l’avait trouvé à moitié nue sur des barils, maintenue de force par quatre hommes, dont un qui prenait plaisir à lui donner des coups de reins violents entre les cuisses. Les autres, la bave sur le coin des lèvres, semblaient déjà avoir eu leur tour et s’amusait à la frapper ou lui cracher dessus. 

    Venant d’Aworn, cela était rare, mais, à cet instant, il n’y eut ni sommation, ni diplomatie, ni pitié. Les quatre violeurs payèrent douloureusement les heures de souffrances infligées à la jeune femme démunie. 

    Une fois le châtiment passé, il s’était approché de Maëlle. Son regard apeuré lui demandait de mettre fin à ce calvaire ainsi qu’à sa vie. Il n’en avait rien fait. Bien au contraire, il l’avait recouverte de sa chemise puis s’était présenté dans l’état à la porte de la princesse Laïrina pour lui prodiguer les meilleurs soins. Pour la jeune femme, l’épreuve avait été terrible, mais son destin avait changé. Grâce à lui.

     

    - Général, je… Le regard de Maëlle se fit lourd de tristesse. Je dois me retirer. Je laisse l’une des torches afin d’éloigner les rats. Dans la besace, vous trouverez de quoi vous nourrir ainsi qu’une fiole avec un liquide verdâtre. Buvez-le et pardonnez-moi si la douleur vous sera insupportable. Mais buvez-le je vous en conjure. Elle chassera le venin qui est en vous.

     

    La jeune femme se retourna pour commencer à se retirer. Elle prit au passage l’une des deux torches.

     

    - Une lettre de la princesse qui vous est adressé se trouve aussi à l’intérieur. Elle y a noté toutes les consignes pour votre évasion. Nous viendrons vous chercher d’ici quelques heures.  

    - Nous ?, l’interrogea-t-il.  

    - Il est tard. Je dois y aller, la princesse Laïrina va s’inquiéter.  

    - Maëlle.  

    - Oui… Aworn…, répondit-elle d’une voix remplie d’amour et de chagrin.  

    - Merci, prononça-t-il d’une voix légère et chaleureuse.

     

    Le regard perdu, il observa Maëlle s’éclipser dans la pénombre des catacombes. Sa présence et les premiers soins qu’elle lui avait apportés l’avaient légèrement revigoré. Pourtant, elle avait raison sur un détail, un venin coulait en lui. Le venin de cette ombre. La princesse et sa servante en avaient eu écho par un moyen qu’il ne connaissait pas. L’essentiel était d’avoir l’antidote. « Pardonnez-moi si la douleur vous sera insupportable. » Les mots résonnèrent en lui. Son épreuve de survie était visiblement loin d’être finie.

     

    - Je n’ai guère le choix de toute façon. Si je ne le prends pas, je risque de sombrer de nouveau très rapidement, se lança-t-il pour se motiver.

     

    Après avoir grignoté les quelques vivres qui se trouvaient dans la besace. Il retira la fiole au liquide verdâtre à laquelle était accroché, par un petit filet de soie, un parchemin.

     

    - Les consignes de la princesse. Il serait plus sage d’en prendre connaissance avant de boire cette mixture peu attirante, raisonna-t-il. Sans perdre une seconde, il décrocha le parchemin, le déroula et entreprit la lecture.

     

    « Général Aworn,  

    J’ai été très attristée par la nouvelle de votre arrestation et des circonstances dans lesquelles cela s’est produit. Le capitaine Laznar a pris de sérieux risques pour me rapporter tous ces faits. Soyez rassuré, je ne mets pas sa parole en doute même si les évènements peuvent paraitre étranges.

    Je crois que nous sommes d’accord pour affirmer que notre royaume vit des heures sombres. Le peuple a besoin de nous. Nous devons le sauver. C’est ce que l’on attend d’un grand général tel que vous et d’une princesse telle que moi. Il faut continuer ce qu’avait entrepris votre ami. Pour cela, nous avons besoin de lui. 

    De ma position, je ne peux rien faire de plus. Vous seul en êtes capable. Nous allons vous donner tous les moyens nécessaires pour que vous puissiez y arriver. Ma confiance vous est entièrement accordée. 

    De ce fait, vous allez peut-être vous demander pourquoi ne suis-je pas venue directement et pourquoi avoir envoyé Maëlle à ma place ? Sachez qu’ici, les traitres et les espions fourmillent de partout. La plupart de mes gestes sont sous haute surveillance. Ma servante reste encore assez libre, du moins pour le moment.  

    De plus, je sais qu’elle me restera et vous restera fidèle jusqu’à sa mort. Ses sentiments pour vous sont indéniables. Vous l’envoyez c’est aussi la rassurer sur votre état de santé. Et puis, cela dit entre nous, je sais que ses sentiments sont partagés. N’est-ce pas général, même si vous avez la fâcheuse tendance à vous le cacher encore. Je suis une femme, et apprenez que les femmes sentent ces choses-là.»

     

    Aworn prit une inspiration. Ces derniers mots le troublaient. « Je…n’ai pas appris à aimer. Comment mes sentiments pour ….. Peuvent-ils être visibles par une autre femme et que, moi-même, je ne les voie pas ? » Soudain, l’image de son premier regard échangé avec la jeune femme lui revint. Il se souvenait de ce jour, jamais il n’avait ressenti cela en lui. Cette chose bizarre qui lui avait fait battre son cœur plus fort qu’à l’accoutumée, comme s’il voulait se libérer de son corps. Ces picotements en lui et ces sensations de chaleur. C’était donc cela. « Ressaisis-toi, tu laisses tes émotions te perdre. Ce n’est pas le moment », grogna-t-il silencieusement.

     

    « Pardonnez mon écart. Je tenais à vous en faire part malgré les circonstances. Revenons-en à la suite des évènements qui vous attendent.

    Vous trouverez dans la besace de quoi reprendre quelques forces et une fiole. Malheureusement, celle-ci contient une substance d’une couleur douteuse et le goût l’est sûrement tout autant. Je n’ai pas eu vraiment le temps de me pencher sur ces petits détails. Je ne pense pas que vous m’en tiendrez rigueur, du moins je l’espère. Le but que je m’étais fixé était de vous trouver un remède pour lutter contre ce qui vous empoisonne le plus rapidement possible. J’espère y être parvenue avec le peu d’informations que j’avais à ce sujet.  

    Sachez que ce breuvage va probablement vous emmener dans un combat court, mais intense contre la douleur. A vrai dire, chaque breuvage contre un venin magique est un véritable défi face à la douleur. Pour ce fait, je vous souhaite beaucoup de courage. 

    Ne tardez pas à le boire. D’ici quelques heures, je viendrai en personne avec Maëlle et une tierce personne pour vous libérer. Un passage souterrain dans les catacombes existe depuis la nuit des temps pour des évasions lors d’assaut contre la demeure royale. Rares sont ceux qui en connaissent l’existence. Pour être honnête, je suis peut-être même la seule à le savoir. 

    Une fois que nous serons sortis du souterrain, des chevaux vous attendront avec une escorte de confiance parmi vos hommes. Ils vous emmèneront vers leur campement. Ils disent qu’une centaine de soldats ralliés à notre cause y attendent leur général. J’aime à le penser. 

    Une fois rétabli, partez vers l’Est. Retrouvez sir Kaëdel. Racontez-lui les faits des derniers événements et ramenez-le-moi. Je suis persuadée que nous pouvons renverser ce fourbe en exploitant sa propre stratégie. 

    Emmenez Maëlle avec vous. Ces jours auprès de moi risquent de la mettre en danger. Près de vous, je la serai en sécurité. 

    Pour ma part, je resterai près de mon père pour le maintenir en vie le plus longtemps possible. Il doit impérativement sceller mon mariage avec sir Kaëdel. Ainsi nous pourrons prendre le trône légalement et chasser cet imposteur. Ensemble, nous y arrivons Général.

     

    Merci,

     

    Amicalement, Dame Laïrina. »

     

    Aworn plia le parchemin et le glissa dans la besace. La princesse et Maëlle prenaient d’énormes risques pour le libérer. Leurs espoirs reposaient sur ses épaules. « Je t’ai promis de veiller sur ton élue jusqu’à ton retour ou jusqu’à ma mort. Il semblerait que, pendant un temps, je ne serai pas en mesure de la tenir. Je viens te chercher mon ami. » 

    Sans l’ombre d’une hésitation, il prit la fiole, l’ouvrit et avala son contenu. Le goût amer le fit grimacer. Comme pour se donner de la force, il jeta la fiole vide sur la paroi opposée. Le choc la brisa en d’innombrables morceaux. 

    Au début, il ne sentit aucun effet. Puis des picotements se firent sentir dans les pieds, les jambes, les mains, les bras. La douleur se propagea lentement, glissant le long de son corps, parcourant le moindre de ses nerfs. Plus elle l’enveloppait, plus elle était intense. Son hurlement imprévisible fit fuir les derniers rats qui veillaient encore sur leur potentiel repas.

     

    - Mais qu’est-ce que c’est…!, hurla-t-il.

     

    Ses yeux exorbités étaient figés sur ses mains. Quelque chose bougeait sous sa peau, suivant le tracé de ses veines. L’horreur l’envahit quand il se rendit compte que tout son corps était sujet à ses mouvements inexplicables. Son souffle se faisait saccader. La douleur devenait trop intense, au-delà du supportable, même pour le plus résistant des hommes. Il tenta de se calmer en prenant sa tête entre les mains. Rien n’y faisait. Il souffrait comme jamais. La seule chose qu’il parvint à faire fut un cri venant de ses entrailles. Puis tout s’estompa quand il perdit connaissance.

     

    - Aworn, réveillez-vous, je vous en prie, le temps presse.

     

    Il ne savait pas combien de temps il s’était assoupi. La douleur n’était plus qu’un lointain souvenir. Seul l’épuisement lui tenait encore compagnie. La princesse Laïrina avait visé juste dans sa mixture. Par quels moyens elle y était parvenue resterait un grand mystère pour lui. En revanche, ses compétences en la matière étaient indiscutables. 

    Il ouvrit avec peine les yeux et fut ravi de reconnaître la silhouette de Maëlle penchée sur lui, si près. Son doux parfum de rose le ramenant légèrement à la réalité. A côté, il vit une seconde silhouette. Pas plus grande que la première. « Elle a donc pris le risque de venir en personne. Son courage est à la hauteur de l’amour que lui porte Kaëdel. »

     

    - Général Aworn, nous allons vous aider à vous relever. Il faut faire vite.  

    - Dame Laïrina, Maëlle …

     

    Les deux jeunes femmes soulevèrent tant bien que mal le général. L’état de celui-ci ne leur facilitait pas la tâche. Pourtant, elles n’en firent rien transparaitre. Ils quittèrent la cellule pour disparaitre dans les souterrains des catacombes. 

    Aworn enchaina les pas maladroits, trébuchant parfois en emmenant l’une des deux femmes dans son sillage. Après plusieurs virages, il se rendit compte qu’une troisième personne se trouvait devant eux. « Elle nous ouvre le chemin… » A semi-conscient, il tenta de la reconnaitre, mais en vain. Il parvenait à peine à la distinguer. Pourtant, une part au fond de lui l’avait reconnu, sans pour autant l'identifier. 

    Soudain, le groupe s’arrêta. Maëlle jeta un regard médusé derrière eux. Au loin, ils remarquèrent une lueur qui semblait les suivre à vive allure. Le constat était évident. Ils étaient poursuivis.

     

    - Des gardes !, s’écria Maëlle. Après un bref instant, Aworn aperçut la troisième silhouette se faufiler jusqu’à la princesse Laïrina. Elle lui chuchota quelques mots inaudibles et se dirigea vers leur point de départ.  

    - Nous devons faire vite. Je refuse qu’un tel sacrifice ne soit fait pour rien.  

    - Oui Dame Laïrina.

     

    Les deux jeunes femmes agrippèrent le général plus fermement et accélérèrent le pas. La distance qui les séparait des gardes fut rapidement augmentée. En tout cas, elle fut assez grande pour ne pas entendre ce qu’il pouvait se passer entre la troisième personne de leur groupe et les gardes. Néanmoins, elle avait réussi sa mission : ralentir l’approche de leurs poursuivants. 

    Après plusieurs efforts, ils arrivèrent à la sortie du souterrain. Comme convenu, une troupe d’hommes les attendait avec des chevaux. Aworn, épuisé, se sentit soulever par des bras fermes. Le hennissement de l’équidé lui fit comprendre qu’on venait de l’installer sur l’animal. Puis il sentit des mains se glisser autour de sa taille ainsi qu’un corps frêle se poser contre son dos.

     

    - Veillez sur lui Maëlle.  

    - Faites attention à vous Dame Laïrina. Nous reviendrons le plus vite possible, entendit-il prononcer entre les deux femmes.

     

    Le groupe d’hommes lança les chevaux au galop. Leur mission avait été un franc succès. Il ne leur restait plus qu’à se regrouper, retrouver l’ancien général et faire tomber l’usurpateur.

     

    - Aworn. Vous êtes libre, nous avons réussi.

     

    Se sentant de nouveau à bout, il s’évanouit une fois de plus. Un léger sourire aux coins des lèvres. Jamais il n’aurait pu croire qu’un jour, lui, général de la garde personnelle du roi Kalianor, serait sauvé des catacombes par une jeune femme. Le destin peut paraître tellement surprenant parfois.

     

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