• Dernière modification : le 26 Janvier 2016

     

     

    " Dans mes songes restera un mystère : une jeune fille. Son aura m'est inaccessible. Elle est là, elle agit. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ses actions, ni le rôle qu'elle aura dans mes prédictions. L'ironie du sort : c'est que seul l'avenir me le dira."

     

    Extrait du grimoire d'Hakkam, verset 8.10

     

    Date : 23 Milrs de l’Ilnweiz 120 (équivalent des temps modernes 23 Mars de l’année 120) 

    Lieu : Elk dans les terres verdoyantes

     

    Une dizaine de jours s'étaient écoulés depuis leur départ de Mor’Isis. Leurs affaires avaient été mitigées, cette fois-ci. Le renouvellement de leurs marchandises n’avait pas eu de franc succès, tout comme leur spectacle de rue. D’ordinaire, ce dernier faisait rêver les gens, la foule se bousculait pour les voir. Là, à leur grand regret, seuls quelques ivrognes, perdus dans leur état d’ébriété, s’étaient arrêtés sans vraiment apprécier ce qu’ils voyaient. 

    Cette déconvenue financière avait rendu le père d’Eriane furieux. Il avait été d’une humeur désagréable tout au long du voyage. Elle n’avait pas cessé de l’entendre marmonner dans sa barbe grisonnante toute la journée, rendant l’ambiance au sein du groupe, oppressante. Il avait pesté contre les villageois de Mor’Isis, devenus bien trop radins et égoïstes à son goût.  

    Cela n’avait pas toujours été le cas. Jadis, les affaires avaient prospéré, même pendant les saisons difficiles. Les Mor’Isissiens avaient toujours eu cette envie de posséder la dernière breloque venue du monde extérieur. Toujours prêts à se ruiner pour ensuite se vanter auprès des leurs. Un village considéré comme un véritable paradis des commerçants. Une réputation tenue jusqu’à l’arrivée du nouveau conseiller du roi du royaume Del’Ruth. 

    Les pillards avaient été chassés des terres du roi Kalianor. Ceux qui s’étaient fait prendre avaient subi de terribles supplices jusqu’à leurs derniers souffles. Cette campagne d’extermination les avait poussés à migrer vers le nord de Suor’E. Les voies commerciales étaient devenues très dangereuses, et, par la même occasion, moins fréquentées. L’opinion des Mor’Isissiens sur le monde extérieur s’était rapidement désagrégée. Le village s’était refermé sur lui-même et était devenu hostile aux étrangers. 

    Depuis, rares étaient ceux qui osaient lâcher quelques pièces pour s’approprier une marchandise étrangère. 

    Ce nouveau comportement avait frustré et vexé au plus haut point son père. Il avait ordonné le départ pour Al’Ecsis, la ville où tous les commerçants se regroupaient pour y faire le bilan de leurs affaires respectives, sans demander son reste.

     

    - Nous avons perdu bien assez de temps en bavardages futiles ici ! Et vous savez que la perte de temps engendre toujours une perte d’argent ! Surtout pour nous, les commerçants, avait-il lancé pour argumenter la raison de leur départ précipité.

     

    Malgré tout, elle savait son père soucieux. Il tenait absolument à remplir les coffres afin de les nourrir, son frère et elle. Ce ne fut donc pas une surprise pour elle quand elle apprit leur détour vers le village d’Elk. Le voyage serait plus long et plus rude, mais leurs coffres seraient remplis à coup sûr. Nul doute que ces habitants, bien qu’étranges, allaient redonner le sourire à son père en comblant leurs pertes financières subies à Mor’Isis. 

    Certes, Eriane n’appréciait pas leurs activités douteuses. Leur façon d’agir et de penser ne pouvait coexister avec ses propres croyances. Elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment des hommes pouvaient vivre isolés du monde et idolâtrer un seigneur qui ne faisait plus partie du monde des vivants. « On ne peut prier l’esprit d’un homme ! Il appartient à la nature et n’existe plus en tant qu’entité individuelle ! », avait-elle répliqué lors de leur première rencontre. Pire, ils avaient osé prétendre que leur soi-disant maître était le cinquième gardien et qu’il avait le don de prédire l’avenir.

     

    - Absurde !, avait-elle répondu de colère. Tout le monde savait qu’il n’existait que quatre gardiens élémentaires. Ces derniers étaient des divinités qui préservaient l’équilibre du monde et de la nature. Ils veillaient sur les hommes, mais n’intervenaient jamais auprès d’eux.

     

    Ce jour-là, tout avait failli mal finir. C’était sans compter sur l’intelligence de son père et de cet homme qui avait semblé être leur chef. « Actam, » avait-elle retenu. 

    Depuis, elle s’était faite discrète, laissant les hommes de sa famille s’occuper du commerce. Elle s’était refusée à sympathiser avec ce genre d'individus qui ne respectaient en rien ses croyances. « Que les Gardiens aient pitié de ces âmes errantes le jour de leur recueillement », priait-elle à chacune de leur venue sur Elk.

     

    - L’essentiel n’est pas ce qu’ils font, mais ce qu’ils nous apportent !, aimait clamer son père pour la convaincre de changer son jugement sur ces hommes.

     

    De ce point de vue, il n’avait pas tort. Ces individus s’étaient toujours avérés être de très bons payeurs, les meilleurs qu’ils aient pu connaître. Et puis, elle se le cachait à elle-même, du moins le tentait-elle, mais elle appréciait ce jeune homme. Il s’était démarqué de ses confrères. Souvent elle s’était surprise à l’observer avec ce regard pétillant. Ce même regard qu’une femme pouvait lancer à un homme plaisant. Il avait su lui parler comme quelqu'un d'éduqué et de cultivé. Il avait toujours été courtois avec elle malgré ses distances et leur divergence de croyance. Elle ne paraissait pas insensible à son charme, bien qu’involontaire. 

    Perdue dans ses pensées, Eriane ne s’aperçut pas tout de suite de la nouvelle inquiétude de son père. Un sentiment qu’elle ne partagea qu’à deux jours de marche d’Elk en observant le ciel au loin. Il était parfaitement dégagé il y a peu encore. Dorénavant, l’horizon laissait entrevoir plusieurs colonnes de fumée.

     

    - Etrange mais rien d’inquiétant. Cela est sûrement lié à l’une de leur nouvelle expérience liée à leur croyance. Ils n’en sont pas à leur premier coup d’essai dans ce genre, tenta Eriane pour convaincre son père sans grande conviction.

     

    Malheureusement, plus ils se rapprochaient d’Elk, plus les colonnes de fumée prenaient de l’ampleur, s’imposant inexorablement dans le décor qui se dévoilait devant eux. Pire encore ! Depuis peu, une odeur de brûlé et de pourriture mortuaire incommodait leurs narines. Inquiet de ce qu’ils allaient pouvoir trouver sur place, son père voulut se rassurer. Pour cela, il lui demanda de lire les lignes de leurs mains dans l’espoir de ne pas y déceler un événement dramatique pour l’un d’entre eux. 

    Ce don d’Eriane lui était venu de sa mère. Elle était en mesure d’estimer la durée de vie d’une personne ainsi que certains évènements forts ponctuant sa vie. Elle savait aussi communier avec les éléments de la nature d’une manière indescriptible. Peu de gens héritaient d’un tel don. Il était courant d’appeler ces personnes privilégiées, des chamanes. Eriane en faisait partie.  

    « Un don ou un fardeau ! », s’était-elle plainte le jour où sa meilleure amie lui avait demandé de lire son avenir. Insouciante, elle l’avait fait. Découvrir les atrocités qu’elle allait vivre avant de mourir l’avait traumatisée. Depuis, elle n’aimait plus utiliser ses dons sur ses proches. La douleur d’annoncer de terribles nouvelles lui avait toujours été insupportable. 

    Devant l’insistance de son père, elle s’exécuta tout de même. Elle le regretta une fois de plus. Ce qu’elle vit l’affola intérieurement. Oerbe, l’esprit de la mort était tout proche. Ce qui signifiait qu’une ou plusieurs âmes allaient rejoindre l’équilibre de la nature.

     

    - Garde cela en toi, il le faut, chuchota une voix dans le for intérieur d’Eriane.

     

    Cette douce voix qui surgit en elle l’apaisa. Elle put se ressaisir afin de ne rien laisser transparaître comme tout chamane se le devait. Leurs vies étaient écrites et cela aurait été une offense aux gardiens élémentaires de vouloir s’y soustraire.

     

    - Le chemin sera rude et les découvertes atroces. En revanche, il ne nous arrivera rien une fois sur place, lança-t-elle avec un sourire forcé.

     

    Au fond, elle ne disait qu’une partie de la vérité, elle ne leur mentait pas. « C’est seulement après qu’Oerbe nous attendra, père », pensa-t-elle tristement.  

    Rassuré par ses propos, son père leur fit signe de reprendre la route. Par précaution, il avait tout de même ordonné à sa fille de se cacher parmi les marchandises dans la roulotte. Sa beauté et son jeune âge ne pouvaient qu’attirer la convoitise de voyous ou de mercenaires. Or, il ne savait pas encore ce qui avait pu se passer sur Elk, ni qui en était le responsable. Son père agissait toujours avec prudence afin d’éviter toutes les confrontations inutiles.  

    Quant à son frère, il se plaça avec sa jument à l’arrière de la roulotte pour surveiller leurs arrières en cas de fuite.

     

    - Il faut se préparer à toutes les éventualités, mon fils. Ta sœur pourra ainsi te rejoindre par l’arrière et vous pourrez fuir ensemble. Je vous couvrirai, avait expliqué leur père. Pas d’inquiétude à avoir. Ce n’est qu’une simple précaution venant d’un vieux père trop protecteur.

     

    Eriane savait pertinemment que son frère s’angoisserait plus vite qu’elle et qu’il ne tiendrait pas sa place. Il refuserait de laisser leur père, seul, devant, face à un éventuel danger. Dans le but de le rassurer, elle lui avait donné une lame ainsi qu’une petite rondache. Bien que tout ceci était parfaitement inutile. Elle savait qu’ils n’avaient rien à craindre en allant sur Elk. De plus, elle avait une entière confiance en son père. Elle le savait capable de les protéger contre de nombreux ennemis. 

    Ce n’était pas qu’un simple commerçant itinérant. Bien que, depuis la mort de leur mère, il ne s’attelait qu’à cette tâche. Non, son père avait été jadis un sicaire de renommée, couramment appelé un Orzi. 

    On faisait souvent appel à eux pour éliminer une cible puissante ou lourdement armée. Ces hommes et femmes savaient aussi bien utiliser la magie que manier une arme. Cela faisait d’eux, de redoutables adversaires. Les plus dangereux connus jusqu’à ce jour. 

    Certes, son père n’était plus en âge d’accomplir de telles prouesses avec une arme pour défendre les siens. Ceci ne le dérangeait en rien. Sa maitrise de la magie compensait amplement cette perte de dextérité. Cela le rendait bien plus dangereux qu’un jeune soldat bien entraîné. Certains ivrognes, n’y croyant guère et voulant goûter à la jeunesse d’Eriane, l’apprirent à leurs dépens. Enfin… personne n’avait su vraiment s’ils avaient eu le temps de s’en rendre compte. 

    Perdue une fois de plus dans ses pensées, Eriane se faufila entre deux caisses de marchandise. Elle pria les gardiens élémentaires. Elle désirait tant modifier la destinée des siens, repousser l’esprit d’Oerbe quelque temps encore. 

    En guise de réponse, elle entendit au fond d’elle-même cette douce voix lui murmurer un « NON » bien plus froid et sec qu’auparavant. Des larmes se mirent à couler sur ses joues. Son impuissance la faisait souffrir. Pourtant, elle savait que chaque événement était prévu pour garder l’équilibre du monde.

     

    - Ainsi est votre volonté…, répondit-elle amèrement.

     

    Après plusieurs minutes de solitude et de tristesse, elle sentit la roulotte s’arrêter. « Nous devons être arrivés. » Attentive, elle entendit son père descendre et faire quelques pas. Peu de temps après, les murmures de son frère la troublèrent.

     

    - Oerbe n’a eu aucune pitié de ce village et de ces hommes.

     

    L’angoisse commença à la submerger. « Que s’est-il passé ? », pensa-t-elle. Son frère n’était pas du genre à commenter ce qu’il voyait. Encore moins à évoquer Oerbe aussi facilement. Ce qu’il devait voir devait être d’un tragique sinistre. 

    Au loin, les bruits de pas de son père étaient toujours perceptibles. Elle en déduisait qu’il inspectait toujours les lieux afin de les sécuriser. Un vieux réflexe d’Orzi. Entendre ses pas de façon continue signifiait que rien n’attirait son attention. Il n’y avait donc aucun danger aux alentours. N’y tenant plus, elle se glissa jusqu’à l’arrière de la roulotte. Ainsi, la communication avec son frère pouvait être plus aisée.

     

    - Catalan. Dis-moi ce qu’il se passe ? Que vois-tu ? Pourquoi as-tu cité Oerbe ?, questionna-t-elle.  

    - Ma sœur… Elk n’est plus… et ses habitants non plus… du moins me semble-t-il., susurra-t-il d’un air désemparé. Ils ont dû offenser les gardiens élémentaires pour subir un tel châtiment. Tu les avais prévenus.  

    - Non ! Les gardiens élémentaires ne feraient jamais une telle chose ! Je ne peux et ne veux pas le croire !, s’écria-t-elle.

     

    « Comment un village habité par des hommes armés a-t-il pu disparaître ainsi ? Pourquoi les Gardiens les auraient-ils jetés dans la Fosse ? Et cet homme ? Actam… » Redoutant le pire pour ce cet étranger si envoutant. Elle s’élança vers l’avant de la roulotte. Le paysage qui se dévoilait devant elle la stupéfia. 

    Toutes les bâtisses ne ressemblaient plus qu’à des ruines fumantes. La végétation qui ornait le centre du village avait laissé place à des tas de cendres éparpillés. Rien ne pouvait laisser imaginer ce qu’avait pu être Elk avant cette désolation. Même le sanctuaire, l’édifice le plus imposant du coin, n’était plus qu’un piteux assemblage de pierres noircies. 

    Eriane contempla les ruines d’un air désemparé. Son regard finit par se poser sur une forme plus ou moins pyramidale. Celle-ci était sombre, de la fumée s’en échappait à divers endroits. La jeune femme vit son père s’agenouiller devant cette masse difforme.

     

    - Quelle est cette… chose qui brûle ?, marmonna-t-elle.

     

    Poussée, une fois de plus par sa curiosité, elle descendit de la roulotte. Elle fit signe à son frère de la rejoindre. Ils se dirigèrent ensuite vers leur père et ce qui leur faisait face. La dizaine de mètres qu’ils franchirent leur permirent de distinguer les premiers détails. Cette chose n’était qu’un empilement de plusieurs petits éléments difformes. Un véritable assemblage incohérent. 

    La gitane émit un cri d’effroi quand ils furent à quelques pas de leurs pères. Ces petites formes n’étaient rien d’autre que des corps empilés les uns sur les autres. La vision était effrayante. L’odeur nauséabonde qu’elle avait ignorée jusque-là lui donna une affreuse nausée.

     

    - Pourquoi autant d’atrocité !, soupira-t-elle au bord des larmes.  

    - Il n’y a rien d’atroce dans ce que tu vois ma fille. Il existe certaines croyances où le fait de brûler le corps du défunt permet de libérer son âme. Ils pensent que cela leur permet de continuer leurs chemins, lui répondit calmement son père en ne décrochant pas son regard des corps carbonisés.

     

    Eriane prit quelques instants pour se ressaisir. Son père avait raison. Il ne fallait surtout pas interpréter ce qu’elle voyait, sous peine de passer à côté d’un détail. Elle inspira profondément et observa de nouveau l’amas de corps. Son intelligence et son sens de l’observation l’aidèrent grandement dans son analyse. Les événements s’étaient déroulés en deux temps. 

    Le premier était le massacre de ces hommes et la destruction du village. La seconde était l’incinération religieuse. Ce qui signifiait que deux groupes d’individus étaient passés à Elk. Elle n’avait aucun doute. Certes les bâtisses, ou du moins ce qu’il en restait, fumaient encore. Quant aux corps, bien moins résistants au feu, étaient malgré tout en bien meilleur état. Elle n’eut aucun mal à en déduire qu’il y avait eu au moins deux jours d’écart entre les deux événements. 

    La jeune gitane s’immobilisa pendant sa réflexion. Soudain, elle se mit à observer tout autour d’eux d’un air inquiet.

     

    - Nous ne sommes pas seuls, chuchota-t-elle en direction de son frère et de son père.  

    Ce dernier se releva lentement sans quitter du regard les corps brûlés.  

    - J’en ai déduit la même chose que toi. Tout du moins au début. Si tu observes encore plus attentivement, tu remarqueras quelque chose d’assez précis.

     

    Eriane reprit à nouveau son observation. Plus attentivement. Elle désirait non seulement être à la hauteur de son père, mais aussi trouver ce petit détail afin de mieux comprendre ce qui s’était passé. Quelques instants passèrent. Elle ne parvenait toujours pas à le trouver. La patience commença à la quitter. Pour abréger ses recherches, son père lui désigna le seul endroit que son regard refusait d’aller : l’amas de corps calcinés.

     

    - Comment n’y ai-je pas pensé plutôt !, maugréa-t-elle contre elle-même.

     

    Son frère, qui n’avait aucun sens de la déduction ni de l’observation, fut perdu. Une situation qui l’irritait au plus haut point. La gitane le remarqua et lui fit part de son raisonnement.

     

    - Regarde Catalan. Les corps sont encore en train de brûler. Cela signifie qu’une chose comme le souligne notre père. Les personnes qui ont voulu rendre ce dernier hommage ont été interrompues.  

    - Interrompues ? Mais par qui ? Et pourquoi ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ma sœur ? 

    - A notre connaissance, toutes les cérémonies comme celle-ci finissent par un rituel où les vivants laissent les cendres des défunts s’envoler au gré du vent, reprit leur père.  

    - Mais alors qui a pu les interrompre dans ce cas ?, interrogea naïvement Catalan.  

    - … nous…

     

    Eriane avait compris que leur arrivée avait dû effrayer ces personnes. Avaient-elles craint le retour de ceux qui avaient mis à feu et à sang Elk ? De plus, la roulotte n’était pas réputée pour être discrète avec ses roues grinçantes et ses cloches accrochées sur le devant. Celui qui avait une oreille fine pouvait même les repérer de loin. C’était le but de tout commerçant après tout.

     

    - Ce n’est pas tout, lança son père.  

    - Comment ça ?  

    - Je parierai même sur le fait qu’il n’y avait qu’une seule personne pour leur rendre hommage. Au vu des traces sur le sol, on devine bien que les corps n’ont pas été portés, mais trainés tant bien que mal. C’est pourquoi la personne a fui devant notre arrivée. Elle était seule, probablement épuisée et mal en point.

     

    La jeune femme observa à son tour les traces qui venaient de diverses directions. Parfois on distinguait des traces beaucoup plus larges et irrégulières. « Une chute de la fameuse personne… » Son père avait raison. Il n’y avait aucun doute. Il restait un survivant.

     

    - Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, ma fille, lui lança son père, devinant ses déductions par avance.

     

    Elle ne se fit pas prier plus longtemps. Elle retourna vers la roulotte accompagnée de son père et de son frère. Sans prononcer un mot, elle s’engouffra à l’intérieur et en ressortit peu de temps après. Elle portait dans ses bras quatre petites statuettes. 

    Chacune d’elles représentait un oiseau. Toutes étaient de couleurs différentes. Eriane traça un carré sur le sol avec ses deux diagonales. Elle plaça ensuite les quatre statuettes dans les coins du carré. L’héron de couleur bleu faisait face à un phœnix rouge. Tandis qu’une colombe verte faisait face à un aigle blanc. Ainsi placées, les regards des quatre statuettes se croisaient au centre du carré. 

    La gitane prit un peu de recul et se mit à genoux. Elle joignit ses mains et murmura quelques prières inaudibles et incompréhensibles. Un langage que seuls les chamanes maitrisaient.

     

    Skoï-ilrdioshs eizleizmoshteizrs, anlworstrs pruftezkteshrs dez nuftr mashd.

    Vuftr hishbl seizvanteshr kez eizjesh, feizanl ilpweizl il vushs.

    Mashtrvushsmoiz sez kez silvvushs.

    Mashtrvushsmoiz sez kez dezvjesh silvanr.

    S'iljeznushanlwjesh dezvosh vushs eiz vushs pranjesh dez tushtez mash ilmez.

    Eizkleizrvushs mil vansiash.

     

    Son père était très attentif et fier d’elle. La première fois qu’il l’avait vue accomplir ce rituel, il en était resté sidéré pendant plusieurs cycles solaires. Elle était si jeune. Il savait que seuls les chamanes les plus puissants, élus par les gardiens élémentaires pouvaient maitriser ce don et communiquer avec leurs esprits. 

    Pour qu’elle puisse exploiter ce don, il lui avait fait tailler ces quatre statuettes représentant chacune l’un des quatre oiseaux, symboles des gardiens, dans du Lytrathe. La pierre sacrée d’où jaillissait l’essence de vie des gardiens élémentaires. Cela lui avait coûté une véritable fortune. 

    Eriane poursuivit ses incantations jusqu’à ce qu’une lumière bleutée apparaisse au milieu des statuettes. Le point lumineux s’agrandit puis prit la forme d’une petite sphère. Celle-ci continua de prendre du volume. Soudain, elle se transforma pour représenter le village d’Elk avant l’incident. 

    Son père et son frère ne l’entendirent pas murmurer une nouvelle prière. Le spectre lumineux se mut comme un petit montage de marionnettes. Ils revirent la scène. L’arrivée d’un homme avec un immense tigre ; l’assassinat des disciples ; la confrontation entre deux hommes.

    L'image s'interrompu brutalement. Eriane, surprise, relança une prière et la scène reprit au réveil d'un homme blessé et exténué. Ils virent rendre le dernier hommage à ses compagnons. Puis, paniquer et se cacher derrière un muret. Là où se trouvait leur roulotte. 

    Le spectre lumineux s’éteignit. Eriane avait reconnu le jeune disciple. Actam. Elle observa la réaction de sa famille. Coordonnés, ils avaient tous dirigé leurs regards vers le muret. Son frère était prêt à prendre les devants, l’arme à la main.

     

    ***

     

    Actam avait attendu l’arrivée des étrangers en toute discrétion. Il les avait attentivement observés. Au vu de son état, il ne pouvait prendre aucun risque. Après quelque temps, il constata qu’ils ne ressemblaient pas à de vils mercenaires, ni à des pilleurs de tombes. Rares étaient les hors-la-loi aussi peu nombreux et si bruyants. Il ne voyait que deux hommes. Un jeune et un autre, beaucoup plus âgés. « Le père et le fils, sans doute. » 

    Il ne baissa pas sa garde pour autant. Il préférait rester vigilant. Il distingua un muret près de leur roulotte. S’il parvenait à l’atteindre, il pourrait mieux les observer. Après une courte hésitation, il s’approcha de son objectif sans se faire remarquer. 

    Au même instant, il aperçut une troisième personne. Les traits féminins, sa beauté et ses formes ne lui étaient pas inconnus.

     

    - Eriane…

     

    Il la reconnut à la seconde où il la vit. Dans son souvenir, elle lui avait semblé douce et discrète. Bien qu’à leur première rencontre, elle leur avait fait part de sa divergence de croyance auprès des siens. Ce fut un véritable désastre. Il aurait pu perdre contact avec les seuls commerçants, suffisamment audacieux pour venir faire affaire avec eux. 

    Ce jour-là, malgré les accroches entre ses confrères et la jeune femme, il avait été envouté par son charme. Ne retenant que les reflets bleutés dans ses cheveux sombres et l’éclat de vie, qui perlait dans son regard. 

    Il voulut se lever pour la rejoindre et se ravisa à l’approche du jeune homme, armé, semblait-il. « Ce ne sont que des marchands. Ils ne pourront pas m’aider… », se convainquit-il. 

    Inquiet, il resta prostré derrière le muret. Ses réflexions fusèrent, il se devait d’agir au plus vite. Perdu entre deux émotions, il se risqua à un autre regard vers cette femme. « Cette lueur…cette femme… » 

    Il était une fois de plus absorbé par ce qu’il voyait. Eriane se trouvait à genoux devant quatre statuettes. Ces dernières délimitaient une zone d’où jaillissait cette lumière hypnotique. La suite le bouleversa tout autant. Si ce n’est plus. La lumière se mit à danser pour former des spectres. A leur tour, ceux-ci prirent forme et jouèrent un genre de spectacle.

     

    - Ce… n’est pas… possible… comment ?, s’inquiéta Actam.

     

    Il se voyait face au rédempteur. Intérieurement, il espérait découvrir ce qui lui était arrivé, même si cette magie l’horrifiait. Il ne sut rien. L’image se brouilla le temps d’un soupir. Elle reprit peu après. Il se voyait maintenant remettre le feu aux corps de ses confrères. Il était apeuré par ce qu’il venait de voir. Il se rabaissa derrière le muret dans l’espoir de ne pas être vu.

     

    - Qui est-elle pour utiliser une telle magie ? Une sorcière ? Un démon ? Je l’ai sous-estimée…

     

    Il cramponna maladroitement sa lame. Il savait qu’au fond de lui ils finiraient par découvrir sa présence ainsi que sa position. Il se devait de se tenir prêt s’il espérait avoir une chance de survie. « Ils ne sont que trois après tout », relativisa-t-il sans plus de conviction. Ses chances étaient faibles, il en était conscient. 

    Le vieil homme serait sûrement le plus facile à éliminer, plus en âge de se battre. En revanche, la fougue du jeune homme pourrait lui être fatale si celui-ci se révélait être un excellent combattant. Une chose qu’il redoutait pour l’avoir vu plusieurs fois manœuvrer des armes qu’ils leur vendaient. Nul doute qu’il l’empêcherait d’atteindre le vieil homme. Il y avait aussi cette gitane. Personne ne pouvait prévoir ce dont elle était capable et quel sort elle pourrait lui lancer. Il ne pourrait rien faire pour se protéger contre ce genre d’adversaire. Il regrettait même de ne s’être jamais préoccupé de la magie et de tout ce qui s’y rapportait.

     

    - Nous savons que vous êtes là ! Sortez !

     

    Actam soupira. Il avait été repéré. Cette fois-ci, il ne fuirait pas. Il ferait face. Prenant son courage à deux mains, il se redressa.

     

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