• Dernière modification : le 26 Janvier 2016

     

    " Les songes ne sont qu'une réalité masquée. Personne ne pense à les déchiffrer. A tord... Ceux qui y ignorent les messages de leurs inconscients ne seront jamais préparer à vivre les épreuves de la vie. L'un de mes pouvoirs résident dans mes songes et parfois dans les vôtres."

     

    Extrait du grimoire d'Hakkam. Verset 7.5

     

    Date : 23 Milrs de l’Ilnweiz 120 (équivalent des temps modernes : 23 Mars de l’année 120)

    Lieu : Elk dans les terres verdoyantes

     

    L’assaut de l’armée du roi Kalianor était imminent. Les remparts de la ville ne les arrêteraient pas. Le nombre de guerriers qui marchaient sur Elk était inimaginable. Rien ne pourrait entraver leur progression. Aucun doute que leur ennemi n’avait qu’un objectif en tête et qu’il était prêt à tout pour l’atteindre : éliminer le seigneur Hakkam et anéantir les prédictions qu’il faisait. Ces dernières devenaient de plus en plus contrariantes et gênantes pour le roi. 

    Ces derniers temps, elles avaient mis en cause la sincérité du souverain envers son peuple. Elles avaient dévoilé ses projets les plus scrupuleux. Une ambition de conquête inarrêtable. Ces prédictions avaient montré au peuple que le roi allait le sacrifier sans la moindre hésitation pour sa propre gloire et sans aucun remord. 

    Il est vrai qu’au début, Hakkam n’avait trouvé aucun écho dans ses révélations. Pourtant chaque fait prédit s’était réalisé. Les villageois, habituellement inquiets par ce genre de manifestations, s’étaient rapidement mis à admirer cet homme. Ils s’étaient mis à l’honorer, amplifiant sa voix au sein même des murs de la capitale. 

    La menace sur le roi Kalianor était née à cet instant. Le nombre de disciples n’avait cessé d’augmenter, reniant leurs propres croyances passées quelles qu’elles soient. Les soulèvements des villageois étaient devenus incontrôlables et dangereux. 

    Hakkam en avait profité pour les regrouper au-delà de la frontière des Terres Verdoyantes. Ensemble, ils avaient bâti un nouveau village. Village qui était devenu une vraie petite ville. Les disciples l’avaient nommé Elk et Hakkam s'en était proclamé Seigneur. Celui-ci n’avait pas perdu de temps et avait créé sa propre armée dans le but de se défendre contre ses ennemis.

    Malheureusement, son armée de disciples donnait une piètre figure comparée à celle du roi Kalianor. Celle-ci était unifiée, lourdement armée et menée par un véritable maître de guerre : le général LordKurd. Sa réputation n’était plus à faire. Aucun adversaire n’était parvenu à le mettre en déroute, ne serait-ce que le temps d’une bataille. L’issue de leur confrontation était inévitable. 

    Actam se retrouva devant la porte du sanctuaire où se trouvait son maître. Des cris de peur, de souffrance et d’impuissance attirèrent son attention. Il se retourna et aperçut une masse noire. Son avancée, bien que lente, provoquait un immense nuage de poussière. Les maisons semblaient s’embraser à son passage. Les disciples qui croisèrent sa route étaient avalés pour ne plus réapparaitre. La ville d’Elk était anéantie au fur et à mesure.

     

    - C’est une véritable armée de démons ! Seigneur Hakkam, protégez-nous de ce maudit fléau!, s’écria le disciple d’une voix étranglée.

     

    Bien qu’envahi par la peur, il aurait aimé se battre aux côtés de ses frères. Repousser l’ennemi et défendre la ville. Or son maitre lui avait interdit de s’attarder sur ce genre d’événements. Il se devait d’être présent auprès de lui quoiqu’il puisse se passer. Il tourna le dos à ses confrères, livrés à leur propre sort, le cœur étouffé par sa culpabilité. L’image qui s’offrit à lui l’horrifia encore plus.

     

    - Le sanctuaire est en feu ! Seigneur Hakkam !

     

    Savoir son maître aux prises avec les flammes le déstabilisa. Il aurait dû être plus vigilant. Il le savait. Il se devait de ne plus perdre de temps ! La vie de son seigneur était en jeu. Il sortit sa lame et se jeta contre les flammes qui bloquaient l’entrée du sanctuaire. 

    L’effondrement de la porte fit un bruit sourd et étrange. Un bruit qui semblait se répercuter dans son corps. Il crut entendre ses propres os et ceux de ses amis broyés. Comme si une bête féroce en faisait son festin. Son imagination était telle qu’il s’imagina face à un tigre palayen. 

    Sentant son esprit lui échapper, Actam se secoua pour se ressaisir. Cela l’aida à gérer sa terreur et de reprendre son sang-froid. Il se leva et jeta un regard à l’intérieur du sanctuaire. Tout était intact, l’intérieur était préservé des flammes, aucune odeur de brûlé, comme si tout provenait de son imagination.

     

    - Que m’arrive-t-il ? J’étais pourtant certain d’avoir vu des flammes embraser la porte du sanctuaire ! Aurai-je trop forcé sur le rhum de Mor’Elk ?, bredouilla-t-il en se frottant le visage pour chasser ses illusions.

     

    Actam rengaina son épée d’un geste hésitant et s’approcha du centre du sanctuaire où l’attendait le seigneur Hakkam. Il se sentait de plus en plus mal à l’aise. Son maître l’épiait, son regard était froid et vide. Pourtant, il esquissa un large sourire dévoilant une dentition presque parfaite.

     

    - Approche-toi mon cher Actam. J’ai une nouvelle mission à te confier. Ce sera ton ultime devoir envers moi. Tu comprends donc qu’elle est aussi de la plus haute importance. Viens, le temps nous est compté.

     

    Actam se précipita auprès de son maitre et s’agenouilla devant lui, la tête baissée. Il attendit les consignes avec crainte. Il avait peur pour la vie de son seigneur et la tonalité dans la voix employée par celui-ci n’envisageait rien de bon. Il comprit rapidement que l’arrivée du roi Kalianor ne lui laisserait probablement aucune chance de survie.

     

    - Comment puis-je vous aider ? Comment puis-je vous honorer ? Vous qui m’avez recueilli et qui avez été pour moi bien plus qu’un père ! Dites-moi en quoi puis-je vous être utile ?

     

    En guise de réponse, Actam sentit une main soulever son menton. Son regard croisa celui de son maître. Il avait toujours cette froideur et ce vide dans les yeux. Le regard d’un mort. Pourtant il lui souriait toujours et ne se souciait guère du combat imminent qu’il allait devoir mener.

     

    - Je sais à quoi tu penses Actam. Malheureusement tu ne peux rien faire de plus pour moi, lâcha-t-il d’une voix calme et berçante. Tout du moins de mon vivant, conclut-il.

     

    « De son vivant ? Mais… », Actam se crispa et comprit que son maître s’était résigné à mourir. Il avait sûrement dû avoir une prédiction à ce sujet. Nul doute qu’il le savait et qu’il n’y avait pas d’échappatoire pour lui. Jamais le jeune disciple n’avait tenté d’interroger son maitre sur ses prédictions. Or cette fois-ci, il voulait en savoir plus. Il désirait aussi montrer son courage et sa volonté. Il se leva et sortit son épée de nouveau. Il se tourna ensuite vers la porte d’entrée du sanctuaire où apparaîtraient sûrement les ennemis de son maître.

     

    - Personne ne s’approchera du Seigneur Hakkam !, cria-t-il face aux portes closes.

     

    Ainsi posté, il donnait l’impression d’être un redoutable combattant. Pourtant les larmes commençaient à lui monter aux yeux quand il entendit de nouveau la voix de son maître.

     

    - Actam, le destin est ainsi fait. Il faut l’accepter tel qu’il est. Pour ma part, j’ai choisi de le suivre sans opposer la moindre résistance. En revanche, en ce qui te concerne, tu as un rôle essentiel à jouer dans les évènements à venir. Pour l’équilibre de notre monde. C’est là que j’ai besoin de toi et que tu devras intervenir. Tu es le seul à pouvoir accomplir cette tâche. J’ai foi en toi.

     

    Le disciple se retourna lentement vers son maître. Les propos tenus par le seigneur Hakkam lui semblaient incohérents jusqu’au moment où il vit un livre dans l’une de ses mains. La couleur cuivrée de la couverture semblait disparaître au profit de quelques moisissures. Deux armatures métalliques le maintenaient en un seul morceau, retenant les pages à leurs extrémités. Au centre, Actam distingua un anneau doré à l’intérieur duquel il aperçut une chouette dorée elle aussi, les ailes déployées.

     

    - Le grimoire de vos prédictions !, s’époumona-t-il en écarquillant les yeux.

     

    Il sentit les battements de son cœur s’accélérer au fur et à mesure que son maître lui tendait le grimoire. Il s’en empara avec sa main libre et légèrement tremblotante. Il ne l’avait jamais vu bien qu’il en connaissait son existence. Il ne l’avait reconnu que par l’intermédiaire du symbole qui était le même que l’attache cape de son maître. 

    Celui-ci avait toujours voulu garder le secret lié à ce symbole et au grimoire. Craignait-il la présence d’un traître parmi ses fidèles ? Le fait de considérer le jeune disciple comme le nouveau gardien du grimoire démontrait toute la confiance qu’il avait en lui. Ce livre n’était pas qu’un simple ouvrage, il le savait. Il représentait l’avenir et la sauvegarde du monde. En être le nouveau dépositaire était un honneur démesuré pour Actam.

     

    - Je veux que tu en sois le nouveau protecteur. Ceci jusqu’à l’arrivée du rédempteur… 

    - …du rédempteur…, répéta timidement Actam tout en observant le grimoire et en y glissant sa main dessus. 

    - Tout à fait. J’ai pris soin de marquer une page qui est fortement liée à tout ce qui se produira ce jour-là. Tâche de le garder ouvert à cet endroit précis pour le rédempteur. Ceci lui permettra de s’y retrouver plus facilement.

     

    Actam resta abasourdi. Son maitre avait tout prévu pour simplifier le destin du rédempteur. Il savait qu’il pouvait compter sur lui pour être son messager. Une maigre consolation par rapport à ses attentes. Le jeune homme était touché en son for intérieur. Toute sa dévotion, tous ses sacrifices pour ne devenir qu’un simple porteur de message. 

    Abattu par cette nouvelle, il rengaina son épée puis ouvrit une sacoche qu’il tenait en bandoulière afin d’y ranger le grimoire. Il avait encore du mal à réaliser que sa vie allait changer si rapidement. Tout lui semblait si irréel. L’armée démoniaque qui détruisait la ville d’Elk, le grimoire qu’il détenait et qu’il venait de ranger dans une sacoche apparue soudainement. Son statut de premier disciple à celui de simple messager. Le sourire de son maître, qui semblait prêt à mourir, paraissait lui aussi irréel. Il ne comprenait pas ce que…

     

    - Files Actam ! Emprunte ce corridor !, se mit à lui crier le seigneur Hakkam. Tu y trouveras une issue qui te sauvera la vie. Protège le grimoire des griffes de notre ennemi ! Et ce, jusqu’à l’arrivée du rédempteur. Sois le digne gardien des secrets de ce monde !

     

    Le jeune disciple fut stupéfié par la réaction violente et directive de son maître. Cela n’avait jamais été dans ses habitudes de se comporter ainsi vis-à-vis de lui. Quelque chose ne tournait pas rond. « Il a sûrement peur pour la sauvegarde du grimoire. Pourtant il sait que tout cela allait arriver. Pourquoi n’a-t-il pas souhaité anticiper sa propre fin ! Et s’il ne pouvait pas tout prévoir ? », réalisa Actam. « Arrête de remettre en cause ses capacités à prédire l’avenir et cherche plutôt à l’honorer », pensa-t-il ensuite. 

    Il s’agenouilla devant son maître. Il présenta une dernière fois ses hommages à celui qui lui avait tout enseigné. Celui-ci l’ignora et sortit son épée en fixant la porte du sanctuaire. L’approche de l’ennemi était imminente.

     

    - Fuis Actam avant qu’il ne soit trop tard ! Ils arrivent !

     

    Le souffle coupé, Actam sentit une force le soulever et l’éloigner de son maître. Le mur qui lui faisait maintenant face s’effrita, laissant place à une ouverture sur un corridor peu éclairé et humide. Il cramponna sa sacoche et sentit la présence du grimoire. Rassuré, il se dirigea à vive allure vers le nouveau passage. Il ne pensait plus qu’à son ultime devoir envers Hakkam. 

    Soudain, son corps devint lourd. Si lourd qu’il ne parvenait plus à se déplacer et semblait manquer de souffle. « Peut-être est-ce dû à l’éloignement du grimoire et de son véritable propriétaire ? », s’imagina le jeune disciple. Il tenta un regard en arrière afin d’évaluer la distance qui le séparait de son maître. Il espérait trouver à travers le regard de celui-ci, des réponses à ses interrogations.

    Ce qu’il vit, malgré l’obscurité émanant du corridor, était loin de ses espérances. Une dizaine d’hommes, lourdement armés, entouraient le seigneur Hakkam. Le combat qui se déroula entre tous les protagonistes fut d’une extrême violence. 

    Pourtant, Actam fut rapidement soulagé. Son maître faisait tomber un à un tous ses redoutables adversaires. Il ne doutait plus sur l’issue du combat qui se déroulait au centre du sanctuaire. Il se sentit revigoré et pût à nouveau progresser dans le corridor. 

    Malheureusement, il n’eut le temps de faire que quelques pas avant d’entendre un bruit de métal. Le bruit que ferait une lame percutant le sol. Le même bruit qui s’était produit le jour où il avait désarmé son maître pour la première fois lors d’un entrainement.

     

    - Il était pourtant seul quand je me suis retourné… il les avait tous vaincus…. J'en suis certain !, murmura Actam d’une voix hésitante.

     

    Il tenta de chasser les idées noires qui commençaient à le traverser. L’admiration pour son maître était tellement forte qu’il ne put se résoudre à l’abandonner à une mort certaine. Oubliant la requête du seigneur Hakkam, il fit demi-tour et courut sa lame à la main.

     

    - Maaîîître ! J’aaarriiiive ! Tenez bon ! Maaîîître !

     

    Sa voix et ses gestes s’arrêtèrent net quand il vit son maître à genoux devant un homme encapuchonné. Celui-ci, conscient de son arrivée, retira lentement sa lame ensanglantée de sa victime. Le bruit sourd du corps tombant sans vie sur le sol le sortit de sa torpeur. Son regard se dressa sur celui de l’assassin. Son cœur s’accéléra, ses tempes lui faisaient mal, ses mains tremblaient. Le visage du meurtrier restait dans l’ombre. Il ne parvenait pas à en distinguer le moindre trait.

     

    - Observe plus loin. Observe plus attentivement. Observe avec ton cœur. Tu y verras ce que tes yeux refusent de voir.

     

    Ne comprenant pas d’où venait cette voix à la fois familière et rassurante, Actam se mit à l’écouter. Il observa attentivement le visage de l’assassin. Le visage de ce dernier commença à devenir plus visible, la forme plus nette, les traits plus distingués. Chaque détail se dessinait, dévoilant l’identité du meurtrier. 

    Ses tempes le faisaient atrocement souffrir. Il avait l’impression que sa tête allait exploser. Soudain, il put apercevoir le visage de l’inconnu. Sa stupéfaction lui en fit oublier toutes ses douleurs.

     

    - Tu… me… ressembles !

     

    Envahi par un sentiment de peur, Actam courut au plus loin de cet homme. La ressemblance avec celui-ci l’effrayait. Cela lui donnait l’impression de s’être vu assassiner son propre maître ! Cette image lui fit naître un sentiment de dégoût à son égard.

     

    - Tout est de ma faute ! Jamais je n’aurai dû le quitter dans un moment aussi critique ! J’ai failli à ma mission ! Pardonnez-moi Maître !, hurla-t-il en tentant de chasser cette image qui l’horrifiait.

     

    Perdu dans ses remords, il ne sentit pas la présence de l’homme qui lui barrait le chemin. La lame de son adversaire ne rencontra aucune résistance quand elle pénétra dans son corps. Une sensation de froid circula dans ses veines, puis traversa ses muscles ainsi que son cœur pour enfin atteindre l’intérieur de son crâne. 

    A cet instant, le visage du guerrier lui apparut. Cette fois-ci, il ne lui ressemblait pas, loin de là. Pourtant, il se dégageait de cet homme une singularité effrayante. Une singularité qui lui était familière.

     

    - Tu te demandes ce qu’il t’arrive mon pauvre Actam ? Dois-je t’éclaircir les idées ou vas-tu y arriver seul ?

     

    Actam reconnut la voix rassurante qui était intervenue peu de temps auparavant. Inconscient de ce qu’il faisait, il sortit le grimoire de la sacoche. Dans un geste tremblant, il le tendit au guerrier. Ce dernier était pourtant bien en train de mettre un terme à sa vie. Une fois de plus, tout lui paraissait irréel et incontrôlable.

     

    - Je… qui… es-tu ?, balbutia Actam dans un soupir, évoquant à la fois sa douleur et son incompréhension. 

    - Tu sais très bien qui je suis. Cela fait longtemps que tu m’attends ! En revanche, n’aimerais-tu pas savoir qui a tué ton maître ? N’aimerais-tu pas savoir pourquoi cet homme te ressemble en de nombreux points ?

     

    Sans donner de réponses à toutes ses questions, le guerrier retira sa lame et se retourna sans se préoccuper d’Actam. Le laissant ainsi, agoniser.

     

    - Actam, réveille-toi ! Tu as déjà vécu tout ceci ! Nous sommes dans ton esprit ! Arrête de t’apitoyer sur ton sort ! Tu connais les réponses à toutes ces questions et tu le sais !, tonitrua le guerrier. Puis il reprit d’une voix plus calme. Maintenant, il est temps de te lever. Dirige-toi vers ta propre destinée et n’oublie pas, nos routes doivent encore se croiser. Nous sommes liés. Toi et moi. Alors, tiens-toi prêt…

     

    Le guerrier s’interrompit et garda le silence de longs instants. Puis il se volatilisa soudainement. Cette étrange disparition émit une douleur intense dans la poitrine d’Actam. Ce mal fut si fort qu’il en hurla de tout son cœur. « Est-ce cela, la mort !!!... »

     

    ***

     

    - Aaaargh !!!

     

    La douleur lui déchira la poitrine, ce qui le fit sortir de ses songes. Une émanation de sueur mélangé à la saleté lui titillait les narines. Son corps était moite et dégageait une odeur nauséabonde. Son cauchemar avait été d’une grande intensité pour le mettre dans cet état. Du moins, le pensait-il à son réveil. 

    Il tenta de canaliser sa respiration et son rythme cardiaque pour reprendre son calme. Après quelques secondes il put constater que son corps était au bord de l’épuisement, vide de toute énergie. Le moindre mouvement lui coûtait un effort considérable. 

    Il glissa, malgré tout, l’une de ses mains le long de sa poitrine. Si tout cela n’avait été qu’un terrible cauchemar, il ne devrait qu’effleurer ces rares poils parsemés sur son torse et ne rien sentir d’autre. Ses espoirs tombèrent vite à l’eau. Ses doigts effleurèrent les stigmates d’une cicatrice bien récente. La taille et la forme de cette dernière lui confirmèrent l’objet coupable de cette blessure.

     

    - Ce n’était donc pas un cauchemar, soupira-t-il. Mais comment est-ce possible ? Depuis combien de temps suis-je ici, inconscient ?

     

    Il voulut se lever rapidement, mais la douleur fut trop vive, trop intense. Il ne voulait pas mourir allongé sans rien faire. Il serra les dents et surmonta les plaintes de son corps. Après quelques tentatives hasardeuses, il parvint à s’asseoir. La scène qui s’offrit à lui n’était que massacre et désolation. 

    Un amas de pierres fumantes gisait là où se trouvait le sanctuaire, du moins lui semblait-il. « Ce qui signifie que seulement deux ou trois jours se sont écoulés, et non quelques Mois comme je le craignais. », conclut-il. « Mais comment ai-je pu cicatriser aussi vite dans ce cas ? » Un rapide coup d’œil sur les alentours lui fit comprendre que toutes les bâtisses du village avaient subi le même sort que le sanctuaire. La grande ville d’Elk qui n’était plus qu’un simple village après le passage de l’armée du roi Kalianor, cette grande ville d’antan n’était plus qu’une ruine inhospitalière avec une puanteur pour souhaiter la bienvenue aux voyageurs. 

    Son regard chassait chaque recoin du village. Il espérait naïvement trouver des survivants parmi ses confrères. En vain… Il tenta néanmoins de localiser leur corps afin de leur rendre un dernier hommage digne de leur croyance. Or, d’où il se tenait, il ne voyait rien. Le rédempteur avait visiblement pris soin de supprimer toutes les traces de son passage. Elk était rayé de la carte et les disciples n’étaient plus là pour témoigner de son existence. 

    Actam se savait le dernier des survivants. Il devenait ainsi, la seule mémoire vivante du seigneur Hakkam.

     

    - Je n’ai… pas dit… mon dernier mot… Rédempteur !, s’entendit-il murmurer.

     

    Cette résolution lui conféra assez de force pour se relever. L’effort lui fut terrible. Ses gestes étaient hésitants et ses appuis instables. Acharné comme il l’avait toujours été, il ne lâcha pas. Ignorant la douleur qui le tiraillait et la fatigue qui le dominait, il se releva. Une fois debout, il se risqua à quelques pas. Son corps, bien qu’endolori, commençait enfin à lui répondre. Sa volonté à ne pas abandonner était exceptionnelle. Cela faisait de lui, un homme courageux et tenace face à la difficulté. Une qualité que son ancien maître avait détectée très rapidement chez lui. Un idéal pour en faire de lui, son plus fidèle disciple. 

    Quelques minutes lui suffirent pour retrouver l’usage de tous ses membres. Sa coordination gestuelle restait malgré tout saccadée et lente, ce qui ne l’empêchait guère de se mouvoir. Il put ainsi faire un vague tour dans les ruines d’Elk. 

    Au fur et à mesure de ses pas, il retrouva un à un les corps de ses confrères. Son premier coup d’œil avait été erroné par sa fatigue. Il prit soin de tous les observer. Il put constater, à la vue de leurs blessures nettes et profondes, que la mort leur avait été donnée rapidement, ne laissant qu'une expression de peur sur leurs visages.

     

    - Ils ont pu rejoindre notre maître sans avoir eu le temps de souffrir. Enfin… sauf ceux qui ont été démantelés par ce tigre, grogna-t-il.

     

    Soudain, Actam parut intriguer par un détail. « Pourquoi aurait-il pris soin de brûler toutes les bâtisses ? Et à l’inverse, pourquoi a-t-il laissé les corps de mes confrères éparpillés, à la merci des charognards ? » 

    La réponse lui sauta aux yeux très rapidement. Tout lui était si évident. Tuer ses confrères sauf lui l’isolait. Sur qui pouvait-il compter dorénavant ? De plus, détruire tous les bâtiments l’empêchait de se réfugier sur ces terres, le condamnant à partir. 

    La situation ainsi présentée, deux choix s’offraient à lui. Le premier lui paraissait lâche et douloureux. Se laisser mourir ici, isolé de tout, ne l’attirait guère. Ce n’était pas dans son caractère, il ne pouvait s’y résoudre. Le second choix lui proposait de quitter définitivement Elk, du moins ce qu’il en restait. Il pourrait vivre une autre vie et suivre enfin sa propre destinée.

     

    - Oui, je me dois de retrouver les traces de mon père et de ce rédempteur, souffla-t-il.

     

    Etait-ce là son avenir ? Peut-être, à moins que sa mission principale ne fasse que commencer. Après tout, il n’était jamais parvenu à traduire le grimoire et ne savait donc toujours pas ce que lui réservait son destin. En lui confiant ses écrits, le seigneur Hakkam l’avait poussé volontairement à la rencontre du rédempteur. 

    Il avait toujours su ce qui se produirait ce jour-là. Son ancien maître connaissait son état d’esprit, il avait dû être certain qu’il irait jusqu’au bout. « Mais au bout de quoi ? », s’interrogea-t-il. Plus il réfléchissait, plus il se rendait compte de l’évidence. Tout était lié. Le seigneur Hakkam, sa mort et son grimoire. L’apparition du rédempteur qui prétendait connaître son père. De plus, il lui avait laissé la vie sauve. « Dans quel but ? Pourquoi ? » 

    Il se demandait aussi si le rédempteur avait pu déchiffrer les écrits du grimoire. Malgré toutes ses connaissances, lui n’y était jamais parvenu.

     

    - Bien sûr ! Il m’a laissé la vie sauve pensant que j’en suis capable !, s’écria Actam.

     

    Cette idée lui redonna le sourire. Sa mission n’était pas finie. Encore fallait-il retrouver le rédempteur et être sûr de cette hypothèse. « Je dois en avoir le cœur net. » 

    Actam se motiva. Il se mit à la recherche de quelques affaires malgré la blessure qui le tiraillait. Une idée bien farfelue quand on se retrouve dans un village en ruine, mis à feu et à sang. Pourtant, sans perdre espoir, il fouilla les corps de ses confrères. Il y dénicha quelques bourses ainsi qu’un poignard et une simple épée. Il ne pouvait s’encombrer de plus. Il prit le juste nécessaire pour survivre jusqu’à sa future destination. 

    Respectueux de ne pas laisser à l’abandon les dépouilles de ses frères d’armes. Il les rassembla pour y mettre le feu. Les esprits de ses confrères pourraient enfin être libérés et rejoindre celui de leur maître. Un nuage de fumée noire emplit le ciel, accompagné d’une exhalaison insupportable.

     

    - Les prémices de futures heures sombres, murmura-t-il.

     

    Actam se surprit à interpréter les signes de la nature ironiquement. Soudain, il réalisa que son corps était une fois de plus à bout. Ses membres étaient lourds et douloureux. Ses jambes parvenaient tant bien que mal à le maintenir debout. Rassembler les corps de ses confrères lui avait demandé un véritable effort. Plus qu’il ne le pensait. 

    Il se posa à l’écart pour reprendre son souffle. L’air irrespirable qui se dégageait par la consumation de ses frères l’avait forcé à s’éloigner. Il inclina la tête et leur délivra une dernière prière à distance. 

    Malgré ses souffrances et ses peines, le jeune homme ne semblait pas affecté outre mesure. Son regard paraissait serein, comme s’il avait abdiqué face à sa destinée. Ces derniers instants avaient fait de lui un nouvel homme. Plus déterminé que jamais.

     

    - Il est temps de…

     

    Actam sursauta. Le son d’une roulotte semblait se rapprocher de sa position. Il était trop tard pour éteindre le feu. Quelqu’un l’avait repéré.

     

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